A propos de la calligraphie chinoise

« Un trait n’est pas une simple ligne. Il est l’incarnation même du Souffle. Par ses pleins et ses déliés, par les infinies inflexions qu’il implique, il est à la fois volume et teinte, forme et mouvement. Mieux encore, le calligraphe exige qu’il soit os et muscles, chair et sang. »François Cheng photo

« Avant chaque séance, la lente préparation de l’encre au moyen du bâton à encre, a le don de me mettre dans un état de disponibilité et de concentration. L’encre ainsi préparée dégage une légère odeur d’encens brûlé qui m’enveloppe avec bonheur. Le papier, lui, a un parfum d’herbe séchée ; il est empreinte invisible, peau consentante, silence rempli de présence. Chaque papier est un organisme vivant qui boit l’encre à sa guise, résiste à la plume ou accélère son mouvement, respire, prend la lumière et vieillit à son heure. »

« La calligraphie n’autorise pas la retouche. La fulgurance de certains gestes entraîne alors parfois l’artiste au-delà de lui-même. Chaque caractère est exécuté dans un ordre éprouvé par le temps ; un idéogramme, unité vivante, a une structure qui a ses exigences, au millimètre près : la succession des traits donne un rythme particulier, propre à chaque idéogramme. »

« Un bon calligraphe doit posséder le sens de la cadence, de la maîtrise spontanée des contrastes de lignes et des nuances de tons. La meilleure comparaison possible est dans l’interprétation musicale. L’enchaînement des gestes d’un violoniste et sa musique rappellent le mouvement du pinceau et les jeux de l’encre. La calligraphie est une musique de l’âme. Elle permet à l’homme de donner libre cours à sa sensibilité cachée. »

« Avec le temps, le calligraphe apprend le juste équilibre entre tension et relâchement, pour que le Souffle suive un mouvement qui part du diaphragme pour aller jusqu’à la main, puis jusqu’à la pointe du pinceau, en passant par l’épaule, le bras et le poignet : la mobilité et la sensualité du trait viennent de là. En réalité, tout se joue à partir des pieds : lorsque la partie inférieure du corps est ferme, la partie supérieure est libérée. Grâce à une concentration extrême, un trait d’encre devient l’aboutissement de tout le corps. Celui-ci n’est plus qu’élan et circulation parfaite. La respiration accompagne le trait de bout en bout. »

« Un calligraphe n’est jamais tout à fait seul livré à lui-même. Il se sent partie prenante d’une longue tradition. Toute création artistique, a fortiori la calligraphie, se situe par rapport aux aventures qui ont précédé ; et le temps se charge d’éprouver, et par la suite de transmettre, les lois les plus fondamentales. »Livre et le souffle devient signe_

« Je m’efforce de laisser affleurer ce qui vient du plus profond, véhémence et tendresse confondues. Pour moi, la calligraphie est saveur et chant ; elle se doit de créer un espace de communion. »

« Il importe en tout cas d’être pénétré de l’idée qu’une vraie création vient de plus loin que soi, de savoir accueillir avec humilité ce qui advient. »

François Cheng
Extraits du livre Et le Souffle devient Signe

L’art calligraphique s’accomplit au moyen du pinceau. Celui-ci est manipulé par les doigts, lesquels le sont par le poignet et l’avant-bras. L’avant-bras lui obéit au coude et le coude se laisse guider par le bras et l’épaule. Épaule, coude, avant-bras, doigt appartiennent tous au côté droit du corps, lequel s’appuie à son tour sur le côté gauche du corps. Les deux côtés ensemble forment la partie supérieure du corps. Celle-ci bien entendu ne saurait fonctionner que grâce à la partie inférieure du corps, et plus particulièrement aux deux pieds. Fermement posés sur le sol les deux pieds incarnent par excellence le plein de la partie inférieure du corps. »

François Cheng
Extrait du livre Souffle et Esprit

A propos de la peinture chinoise

« Puisque c’est bien le Vide qui permet le processus d’intériorisation et de transformation par lequel toute chose réalise son même et son autre, et par là, atteint la totalité.

En ce sens, la peinture en Chine est pleinement une philosophie en action : elle y est envisagée comme une pratique sacrée, parce que sa visée n’est rien de moins que l’accomplissement total de l’homme, y compris sa part la plus inconsciente. »

François Cheng
Extrait du livre Le Vide et le Plein